Charlotte, la princesse morte en couches dont la disparition a changé la vie des femmes

Lorsqu’il est désigné comme « l’accoucheur » (terme officiel de l’époque) de la petite-fille du roi George III, Richard Croft, cinquante-cinq ans, est l’un de ces praticiens établis qui doivent principalement leur succès à leurs relations au sein de l’aristocratie – il a aussi hérité son cabinet de son beau-père, le docteur Thomas Denman, autorité numéro un de l’obstétrique en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle.

Les lettres échangées pendant sa grossesse entre la princesse Charlotte de Galles et son médecin (dont neuf sont parvenues jusqu’à nous) donnent une idée des conseils dispensés par le Dr. Croft : l’héritière du trône doit se lever à neuf heures le matin, se contenter d’un déjeuner de midi léger à base de viande froide ou de pain et de fruits, ne manger que des aliments cuits le soir, ne pas boire plus de deux verres de vin au dîner, ne pas hésiter à faire un peu de cheval en guise d’exercice physique et ne se doucher qu’un jour sur deux. Les connaissances médicales de l’époque étant très éloignées de ce qu’elles sont aujourd’hui, des saignées sont pratiquées régulièrement afin de soulager la jeune femme de ses migraines. Pour la plupart des chercheurs qui ont travaillé sur le sujet ces dernières années, il ne fait quasiment aucun doute que la princesse Charlotte souffrait déjà d’anémie avant son accouchement.

Les accoucheurs de son époque sont convaincus qu’il est normal pour une femme d’endurer des souffrances prolongées au moment de donner la vie

Prise des premières douleurs dans la soirée du 3 novembre 1817, la petite-fille de George III va connaître un travail interminable et difficile jusqu’à la venue au monde de son enfant, le 5 novembre en début de soirée – un petit garçon probablement décédé depuis plusieurs heures. Charlotte rend à son tour son dernier souffle le 6 novembre au petit matin. L’examen de la dépouille ne permettra pas de déterminer la cause précise de son décès.

Respectueux des règles anciennes édictées par son beau-père, Richard Croft n’a pas eu recours aux forceps (pratique pourtant connue depuis plusieurs dizaines d’années) et n’a rien tenté non plus pour atténuer le calvaire de sa patiente. Les accoucheurs de son époque sont, pour la grande majorité d’entre eux, convaincus qu’il est normal pour une femme d’endurer des souffrances prolongées au moment de donner la vie. Dans l’opinion le chagrin et la stupeur laissent rapidement la place à la colère. On déplore la raréfaction dans certaines couches de la société du recours aux sages-femmes, remplacées au chevet des jeunes mamans par des médecins hommes, davantage à la mode et supposément investis des savoirs scientifiques les plus récents. Mal secondé pendant l’accouchement, Croft est aussi décrit comme peu sûr de lui et incapable d’affronter avec sang-froid des situations de crise. Miné par les critiques, celui-ci met fin à ses jours trois mois plus tard.

Le drame vécu par Charlotte conduit à une remise en question profonde des pratiques. Plusieurs publications, comme le Lancet, sont créées dans les années qui suivent au Royaume-Uni et un peu partout en Europe afin de permettre une meilleure diffusion de la connaissance médicale. La Société d’obstétrique est fondée en 1825 à Londres dans le but de réguler la profession. L’accouchement est désormais considéré comme pouvant justifier une intervention chirurgicale et la souffrance des femmes est enfin prise en compte – les premières administrations de chloroforme destinées à atténuer les douleurs liées aux contractions seront effectuées en 1847 par le Dr. James Simpson.  En 1858, une loi oblige pour la première fois au recensement des médecins et à l’octroi d’autorisations d’exercer.

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La princesse Charlotte de Galles. Unique petit-enfant du roi George III, elle fut l'héritière du trône de Grande-Bretagne de sa naissance, en 1796, à sa disparition, en 1817.
Royal Collection Trust

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