Le vêtement royal en Grande-Bretagne : « Une capacité mystérieuse à provoquer l’admiration »
Si le vêtement féminin est considéré comme un outil de relations publiques dans la plupart des familles régnantes, il l’est plus que partout ailleurs en Grande-Bretagne, où les reines en font un instrument de communication au service de la couronne et de l’image qu’elles souhaitent laisser à la postérité. « Tout ce pour quoi la reine Elizabeth II est là, tout ce qu’elle représente et défend doit se refléter dans ce qu’elle porte », a-t-on pu lire un jour dans les colonnes du quotidien The Times.
Retailler ses robes à l’infini
Au tout début du XXe siècle, « la vie officielle d’Alexandra [l’épouse d’Edward VII] a été un succès parce qu’elle a su faire les bons choix en matière de garde-robe », écrit ainsi l’historienne de la mode Kate Strasdin dans la revue Costume. Celle-ci décrit une princesse (puis une souveraine) influencée par ses années de jeunesse désargentées au Danemark, toujours prête à faire retailler et modifier ses robes à l’infini pour leur donner l’apparence du neuf, et qui n’hésite pas à s’afficher dans des vêtements de plus de trente ans. Afin de masquer une cicatrice disgracieuse au niveau du cou, la belle-fille de la reine Victoria adopte les blouses à col montant dans la journée et, le soir, les colliers de chien en perles et diamants. Consciente des interrogations que suscite sa minceur extrême (la mesure du corsage de sa robe de mariée révèle un tour de taille de 54 centimètres), elle choisit de couper court aux rumeurs sur son état de santé non pas en dissimulant sa silhouette, mais, au contraire, en la flattant par des vestes près du corps inspirées des ensembles de style yachting portés à l’époque aux régates de Cowes.
Réinventer son personnage public
Alexandra montre également sa différence en faisant appel à des couturiers parisiens, comme Charles Frederick Worth ou encore Jacques Doucet, installé rue de la Paix, et ne déteste pas, de temps à autre, faire preuve d’un soupçon d’extravagance dans ses choix. Atteinte d’otosclérose, une maladie héritée de sa mère, la reine Louise de Danemark, elle voit sa surdité s’aggraver à partir du milieu des années 1860 et décide alors de réinventer son personnage public en se drapant de robes scintillantes, brodées de toutes sortes de motifs et de petites pièces de métal aux reflets brillants destinées à détourner l’attention de son handicap. On lui prêtera, tout au long de sa vie, « une capacité mystérieuse à provoquer l’admiration plutôt que la jalousie, chez les femmes comme chez les hommes. » « Son apparence, les stratégies vestimentaires qu’elle a adoptées ont contribué de manière importante au maintien de son immense popularité, analyse Kate Strasdin. (…) L’image que projetait Alexandra était celle d’une élégance rassurante et sûre. Elle suivait la mode sans pour autant la dicter. Elle savait faire la différence entre ce qui lui allait et ce qui ne lui allait pas, et s’habillait en conséquence. »
Un rappel permanent des traditions qui sous-tendent l’existence même des familles régnantes
Réfractaire à toute idée de mode – concept qui se marie fort mal avec son caractère –, sa belle-fille, la future reine Mary, se sait quant à elle moins gracieuse et moins jolie. Elle se compose donc une silhouette majestueuse, qui, elle en est convaincue, sied davantage à son imposante stature. Mary est grande et mince, non dépourvue de charme, mais son élégance sous contrôle est l’expression d’un tempérament tout entier voué à l’exercice de ses devoirs, d’une conception de l’institution monarchique plus proche de celle de la reine Victoria. À l’instar de la première impératrice des Indes, elle trouve d’ailleurs le vêtement ennuyeux, et, lors d’une visite à Paris, au printemps 1908, évite ostensiblement les boutiques des couturiers de la capitale.
Son époux, le futur souverain George V – l’exemple type du « gentleman anglais direct et sans imagination », fidèle à son tailleur à qui « il commande année après année les mêmes coupes, les mêmes tissus » –, dicte la longueur de ses ourlets, qui jamais ne montreront ses chevilles, et influence l’aspect daté de sa garde-robe. Le dos droit comme un « i » capitale, le décolleté toujours généreusement pourvu de pièces de joaillerie choisies parmi les plus spectaculaires de la collection royale, Mary décide d’incarner la magnificence monarchique telle qu’elle se concevait avant la Première guerre mondiale, adopte le style edwardien, les toques, les couleurs pastel (qu’Alexandra avait contribué à rendre populaires), les manteaux souples et larges, les lamés argent et or rebrodés de motifs compliqués.
Tout, dans son apparence, a un sens. Ses fournisseurs sont britanniques, ses chapeaux conçus comme autant de couronnes, ses robes inspirées du passé un rappel permanent des traditions et de la continuité historique qui sous-tendent l’existence même des familles régnantes. « Quand arrive le jubilé d’Argent [les 25 ans de règne de George V], en 1935, elle est devenue une institution nationale, un symbole tangible de la grandeur de la monarchie. »
Une prédilection pour les fanfreluches, la dentelle et les ornements de fourrure
La force de son image est telle que, dans les années 1920, sa bru, Elizabeth, duchesse d’York, peine à affirmer son propre style. L’extrême simplicité de sa robe de mariée, en 1923, la timidité des couleurs et des formes dont elle drape sa petite silhouette laissent penser, un temps, que la nécessaire dimension théâtrale du vêtement royal lui échappe. Rien, dans l’éducation typiquement aristocratique qu’elle a reçue, ne l’a préparée à incarner les rêves et les attentes de ses compatriotes dans ce domaine. Jusqu’à son couronnement au côté de George VI, en 1937, sa garde-robe trahit tout au plus une prédilection pour les fanfreluches, la dentelle et les ornements de fourrure. La jeune femme, à sa décharge, doit composer avec l’héritage des femmes qui l’ont précédée, d’Alexandra, de Mary, ou encore de sa belle-sœur, Marina, duchesse de Kent, une inconditionnelle de Molyneux, considérée comme l’une des femmes les plus élégantes du royaume.
La métamorphose – et la création de son personnage public – ne s’opère qu’en 1936, année où elle commande ses premières robes à Norman Hartnell, l’un des nouveaux couturiers les plus prisés de la bonne société londonienne. Influencé par les Ballets russes de Diaghilev et par leur principal décorateur et costumier Léon Bakst, celui-ci a débuté en créant des costumes pour le club de théâtre de l’université de Cambridge, où il a fait ses études. Elizabeth lui commande des tenues de deuil au lendemain de la mort de son beau-père, le roi George V. Norman Hartnell crée ensuite pour elle une robe du soir en « tissé d’argent (…) dotée d’un ample col berthe de dentelle d’argent incrustée de diamants scintillants ». Le couturier aime les effets, le spectacle. « Je n’ai que du mépris pour la simplicité, dit-il, car elle est la négation de tout ce qui est beau. » Il entreprend dès lors de donner au dressing de l’épouse de George VI le romantisme et le caractère qui lui manquaient.
Incarner la résistance d’un pays tout entier
En juillet 1938, cette dernière éblouit Paris, où le couple régnant effectue une visite d’État de plusieurs jours, dans une série de robes à crinoline immaculées constellées de dentelles, de tulle vaporeux et d’ornements d’argent et d’or. Norman Hartnell avait, à l’origine, travaillé à la confection d’une trentaine de modèles dont les broderies et les teintes rendaient hommage à la France et à ses symboles, mais la disparition brutale de la mère de la souveraine, Cecilia, comtesse de Strathmore et Kinghorne, en juin, l’avait contraint à repenser l’ensemble et à créer pour elle une garde-robe entièrement blanche – « couleur » du deuil pour les reines de France jusqu’au XVIe siècle.
L’Hexagone réserve un accueil enthousiaste à Elizabeth, figure au charme quasi irréel et comme tout droit sortie d’une toile de Winterhalter. Un style est né. Hartnell va maintenant l’adapter aux exigences de la vie officielle en Grande-Bretagne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la grand-mère du roi Charles III arpente les rues de Londres dévastées par les bombardements allemands dans des ensembles poudrés roses et bleus assortis de bibis compliqués, de rangs de perles et d’étoles de fourrure. Perçus comme les emblèmes vibrants de la résistance du pays tout entier.
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