Printemps 1948. La princesse Elizabeth effectue sa première visite officielle en France, au côté de son mari le prince Philip, duc d’Édimbourg. Le 16 mai au soir – un dimanche –, les deux jeunes gens tentent de profiter de quelques heures de détente dans la capitale. Mais leurs plans se trouvent rapidement contrariés par la presse, décidée à pister les moindres de leurs faits et gestes.
Le prince Philip enrage…
Sa première « vraie » sortie parisienne, c’est à La Tour d’Argent que la princesse a choisi de la réserver. Les services de sécurité ont bien tenté tout l’après-midi de faire diversion en laissant croire qu’elle pourrait se rendre chez Maxim’s, mais rien n’y a fait. Philip enrage lorsqu’il s’aperçoit qu’un trou a été percé dans l’une des tables de la salle du restaurant, entièrement réservée pour eux, pour y installer une caméra. « L’une des pires soirées que j’aie jamais passées », commentera plus tard l’un de leurs conseillers.
Elizabeth porte une robe bleu électrique Norman Hartnell et une courte veste en renard blanc, son époux un smoking rehaussé d’un œillet pourpre. Avant le dîner, sous la conduite du maître d’hôtel principal, la princesse visite les caves de l’établissement. Au menu : consommé madrilène, filet de sole grillé Frédéric, caneton Tour d’Argent, pommes soufflées, cuisses grillées, salade Roger, soufflé Altesse, accompagnés d’un porto Retour des Indes 1840, d’un clos-vougeot blanc 1942, d’un château-cheval-blanc 1942 en magnum, d’un château-d’yquem et d’une grande fine champagne réserve Café Anglais 1798.
Le couple danse au son de l’orchestre d’Henri Salvador
On savait que la jeune femme avait exprimé le désir de poursuivre la nuit dans un cabaret… À 23 heures 25, la Daimler noire du couple s’arrête devant un night-club de la rue Pierre-Charron, Chez Carrère, dont l’entrée a été décorée aux couleurs franco-britanniques.
Une centaine d’invités triés sur le volet attend « les Édimbourg » depuis déjà plus d’une heure. Parmi eux, les ambassadeurs d’Égypte et d’Argentine, la princesse de Faucigny-Lucinge, des barons accompagnés de leur baronne, des comtesses, des ducs et des vicomtes. Au son de l’orchestre d’Henri Salvador et des tubes du moment, comme They Say It’s Wonderful et No Can Do, que l’on dit alors être ses préférés, Elizabeth danse des slows et des valses lentes. À sa demande, dix mannequins lui présentent ensuite les tendances de la mode made in Paris – cinq dans des robes blanches de Jacques Fath, cinq autres dans des tenues plus colorées de chez Lucien Lelong.
Personne ne sait encore qu’Elizabeth attend son premier enfant
Accompagnée par les Compagnons de la Chanson, Édith Piaf, tout en velours noir, entonne enfin La Vie en rose (dont un couplet en anglais) et quelques titres de son répertoire avant d’aller s’asseoir à la table de la princesse, avec laquelle elle s’entretiendra un long moment.
Ce voyage outre-Manche a scellé l’attachement profond et durable qui va dès lors lier Elizabeth à l’Hexagone. Le 18 mai, la future reine quitte la capitale fatiguée mais comblée. Tout au long de son séjour, bien que régulièrement incommodée par la chaleur, elle a su cacher son secret au reste du monde. À vingt et un ans, elle attend son premier enfant.
Extrait d’Elizabeth II, dans l’intimité du règne, par Isabelle Rivère, Fayard, 2022.
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